C’est une petite bombe que vient de lâcher la Chambre régionale des comptes dans son rapport sur la gestion de la commune de Bordeaux. Elle confirme en effet que les comptes de la Ville étaient bien en déficit, un déficit dissimulé par l’inscription insincère de recettes fictives.
En juin 2016, nous révélions qu’Alain Juppé avait présenté aux élus des ratios d’endettement faussés et avait inscrit illégalement une recette d’emprunt au compte administratif 2015. Après quelques investigations, nous avions compris que l’opération avait pour but de masquer une réalité fort embarrassante pour le Maire de Bordeaux : les comptes de la 9ème plus grande ville de France étaient en déficit, ce qui n’est en principe pas permis par la loi.
À l’époque, Alain Juppé a vertement réfuté nos allégations et avait refusé catégoriquement de revoir sa copie C’est alors que nous avions saisi le tribunal administratif et adressé pour information une copie de notre recours à la Chambre régionale des comptes. C’est cette dernière qui a livré la première ses conclusions :
« deux offres bancaires ne revêtaient par le caractère certain exigé par la réglementation pour être qualifiées de restes à réaliser. En les ôtant des recettes d’investissement, les résultats annuels de 2013 et 2015 deviennent déficitaires ».
La chambre estime que le déficit est inférieur à 5% (seuil qui peut conduire à une mise sous-tutelle) mais se montre particulièrement sévère quant aux pratiques employées :
« Cette pratique, que la ville justifie par des éléments de doctrine parfois anciens, et non par un texte règlementaire, serait répandue parmi les collectivités. Elle repose sur une lecture partielle de la notion de restes à réaliser qui ne relève pas uniquement du registre budgétaire, à la différence de la technique des AP/CP. Les emprunts enregistrés en restes à réaliser des exercices 2014 et 2015, inscrits automatiquement en recettes des budgets primitifs 2015 et 2016, n’ont pas été mobilisés ; ils ont eu, pour seule finalité, d’équilibrer les comptes clos alors que selon l’article L. 1612-4 du CGCT, l’équilibre réel d’un budget d’une collectivité territoriale suppose une évaluation sincère des recettes et des dépenses. La non mobilisation des emprunts inscrits en restes à réaliser a été palliée par l’affectation permanente d’une partie des ressources de trésorerie à la couverture de besoins de la section d’investissement, pour un encours d’environ 10 M€ jusqu’en février 2016. La conjugaison de ces trois pratiques – non constatation des crédits de paiement engagés et non mandatés, non levée des emprunts inscrits en restes à réaliser et mobilisation permanente d’une partie des lignes de trésorerie – a contribué au report d’un exercice à l’autre d’une partie du besoin de financement de la section d’investissement. »
Avec leurs mots, les magistrats financiers révèlent en détail la manière dont la Ville utilisait la technique foncièrement illégale de la cavalerie budgétaire et dénonce une évaluation insincère de ses recettes et de ses dépenses.
Ce n’est pas la première fois que des magistrats sanctionnent Alain Juppé sur l’insincérité dont il fait preuve dans la présentation des chiffres. En mai 2016, à l’occasion de notre saisine du Conseil d’État dans l’affaire du Grand Stade, les juges avaient relevé la « gravité du vice entachant la délibération annulée » lorsque celui-ci avait présenté aux élus un « coût prévisionnel global » foncièrement sous-estimé.
Ce rapport vient confirmer ce que nous dénonçons depuis plusieurs années et dresse un constat objectif d’une situation inacceptable. La bonne gestion d’une ville repose d’abord sur la vérité des chiffres. Comme Alain Juppé a-t-il pu se laisser entraîner dans cette fuite en avant ? Comment a-t-il pu accepter de se fourvoyer de la sorte ? Quel est l’avenir financier de la ville, quelles marges de manœuvre et quelle capacité d’investissement reste-t-il ?
Comme la loi lui en fait l’obligation, Alain Juppé devra présenter le rapport de la Chambre régionale des comptes lors du prochain Conseil municipal. Gageons qu’il nous apporte quelques réponses.