Marché complémentaire relatif à Bordeaux.fr : je saisis le Préfet

Objet : contrôle de légalité de la délibération 20070149 votée au Conseil municipal de Bordeaux du lundi 5 mars 2007 ayant pour objet l’autorisation de signature d’un marché complémentaire.

Monsieur le Préfet de la Gironde,

Ce lundi 5 mars, le Conseil municipal de Bordeaux a approuvé dans sa majorité la délibération 20070149 autorisant Monsieur le Maire à conclure un marché complémentaire avec la société Sopra Group en vertu des articles 35-II 4° et 77-1 du code des marchés publics. Ce marché concerne le site Internet de la mairie de Bordeaux et a pour objet le « renouvellement partiel des fournitures, installations obsolètes, le complément de fournitures et les extensions des réalisations existantes, … l’entretien courant et les prestations de mise en œuvre et de suivi des installations ».

Comme vous le savez, il n’est possible de déroger aux règles générales du code des marchés publics que dans des conditions extrêmement précises. Concernant l’article 35-II 4° (anciennement 35 III 1°) invoqué par la mairie, l’instruction du 28 août 2001 pour l’application du code des marchés publics (décret no 2001-210 du 7 mars 2001) est particulièrement éclairante (je souligne dans les textes que je cite les passages qui me paraissent les plus éclairants) : « Le recours au même fournisseur doit donc apparaître comme indispensable. Deux conditions cumulatives sont posées : le changement de fournisseur doit impliquer un changement de matériel, ce qui implique que seul le fournisseur initial peut fournir le matériel initialement retenu ; le changement de matériel doit entraîner des incompatibilités, ou au moins des difficultés très sérieuses d’utilisation ou d’entretien, qui doivent dépasser les difficultés inhérentes à tout changement de matériel. »

Pour justifier le recours à ce marché complémentaire, la délibération 20070149 indique : « La Ville de Bordeaux doit pérenniser et développer son portail sur les types d’architectures, les outils et les développements mis en place spécifiquement à cet effet, à la mairie et chez l’hébergeur du marché, en garantissant la continuité de service. Seul Sopra Group possède aujourd’hui les compétences techniques sur les réalisations faites pour permettre au portail de perdurer en production et de poursuivre son extension, sans que soit remise en cause toute sa base technique, l’architecture logicielle déployée et tous les développements réalisés sur cette architecture. Recourir à un fournisseur différent pour son maintien et son évolution obligerait à refaire la conception et les bases du portail, en renonçant à tout investissement financier et humain depuis 4 ans ».

Cette argumentation n’est étayée par aucune preuve et ne repose sur aucun fondement technique. La délibération indique que le changement de fournisseur entraînerait un changement des bases du site internet. Pourtant, le noyau du site (autrement dit les bases), à partir duquel divers développements ont été réalisés correspond à un standard : « BEA Weblogic Platform ». Cette information est communiquée sur le site même de Sopra Group. Par ailleurs, ce noyau est librement téléchargeable sur le site Internet de BEA.

Toujours sur le site Internet de Sopra Group, nous pouvons lire : « Le projet a été réalisé et déployé dans le strict respect des normes Java et J2EE, en utilisant le serveur d’application et portail BEA Weblogic Platform en front-office hébergé et un outil de gestion de contenu adapté au contexte. Sopra Group a réalisé des développements spécifiques et intégré nombre d’applications déjà existantes (catalogue de la bibliothèque, consultation des délibérations municipales, carte de restauration scolaire, …) et de services (cinéma de l’agglomération, démarches administratives, météo, SIG, …..) ».

Si l’on en croit le prestataire, il s’est appliqué à réaliser ses développements en respectant les normes en vigueur, ce qui permet une transmission du projet sans aucune difficulté. Par ailleurs, le prestataire se présente davantage dans ce projet comme un intégrateur et un coordinateur de différents métiers que comme un développeur innovant disposant d’un monopole exclusif : « Ainsi Sopra Group, dans son rôle d’intégrateur de système web, a coordonné le travail d’une agence de graphisme, d’un rédacteur en chef et de journalistes pigistes pour la rédaction du contenu, de la société qui a réalisé le système d’information géographique intégré au site, de la société qui héberge aujourd’hui le portail. »

Pour résumer et en reprenant les deux conditions cumulatives permettant de se prévaloir de l’article 35 II 4° du CMP :

1) le changement de fournisseur doit impliquer un changement de matériel, ce qui implique que seul le fournisseur initial peut fournir le matériel initialement retenu La délibération D-20070149 ne contient pas d’éléments de preuve permettant d’établir que le changement de fournisseur impliquerait un changement de « matériel ». Le fournisseur initial est loin d’être le seul à fournir le « matériel » retenu dans la mesure où celui-ci est standardisé. Il existe de très nombreuses sociétés disposant des compétences requises pour administrer « BEA Weblogic Platform ». De même, il existe de nombreuses sociétés capables de développer ou reprendre des applications Java.

2) le changement de matériel doit entraîner des incompatibilités, ou au moins des difficultés très sérieuses d’utilisation ou d’entretien, qui doivent dépasser les difficultés inhérentes à tout changement de matériel Comme nous l’avons indiqué plus haut, le matériel de base (« BEA Weblogic Platform ») est disponible librement en téléchargement sur le site de BEA. Quant aux développements annexes réalisés par Sopra Group, ceux-ci sont relativement restreints (selon les propres dires de Sopra Group) et, en tout état de cause, rien n’empêche une autre société de les faire évoluer (puisque réalisés dans un langage de programmation mondialement reconnu : Java).

Nous en concluons donc qu’aucun motif technique ne justifie la décision de procéder à la passation d’un marché complémentaire et donc de déroger au droit commun des marchés publics.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Monsieur le Préfet, de saisir le Tribunal Administratif afin d’annuler la délibération D20070149 votée à la majorité du Conseil municipal de Bordeaux ce lundi 5 mars. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de ma haute considération.

Edit : le préfet ne répondit même pas à ce courrier …

  1. 6 mars 2007

    effectivement ça sent très très très mauvais ce marché "complémentaire"… Bravo !

  2. 7 mars 2007

    Effectivement ce marché complémentaire sent la bidouille pour éviter une mise en concurrence et les contraintes liées aux procédures d’appels d’offre.

    Néanmoins, j’aurai une petite question, quels sont les rapports entre le Préfet et la Mairie de Bordeaux ? Car vous n’êtes pas sans savoir que le Préfet, même s’il exerce effectivement un contrôle de légalité sur les actes des collectivités territoriales, n’a aucune obligation en terme de procédure. Et il est possible qu’il vous appartienne de saisir le TA si toutefois le Préfet ne donnait pas suite.

  3. 21 avril 2007

    Vroumette : j’attendais un peu avant de vous répondre. Il se trouve qu’à ce jour, le Préfet ne m’a adressé aucune réponse. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi moi-même le TA. Si jamais ce dernier me donne raison, il sera utile de s’interroger sur l’influence des relations entre le Préfet et M. le Mairie dans le refus pour le Préfet d’instruire ce dossier.

  4. 16 mai 2007

    Pourrais-je avoir un "éclairage" sur la notion de "marché complémentaire" apparue dans la Directive 2004/17 sur les secteurs spéciaux ?
    Merci