C’est une petite révolution qui concerne la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) que s’apprêtent à voter les élus métropolitains lors du Conseil de vendredi prochain. D’une part, la délibération modifie le zonage qui autorise une fiscalité différente en fonction du lieu de résidence et d’autre part, elle décide de l’augmentation sensible d’une taxe dont le taux n’avait pas évolué depuis plus de 10 ans. Dans le centre ville de Bordeaux, cette poussée fiscale va atteindre près de 13% !
Avec la mise en place de taux distincts et l’augmentation globale de la TEOM, les élus vont institutionnaliser un fonctionnement qui apparaît contreproductif, injuste et illégal.
1) Une fiscalité contreproductive
Il est demandé aux élus de voter trois taux de TEOM différents en fonction des territoires de la métropole. Par exemple, le taux qui s’appliquera à Ambarès sera de 7,18%, il sera de 8,69% à Pessac tandis que celui qui sera appliqué à Bordeaux Centre sera de 9,31%. La raison invoquée est la nécessité d’offrir plus de collectes sur certains territoires et un maximum à Bordeaux Centre. En effet, il n’est prévu par exemple que deux collectes par semaine à Ambarès, trois collectes à Pessac et six dans le coeur historique de Bordeaux.
Si ce zonage est légal, on pourrait se demander à ce stade si ce système de modulation du taux de la TEOM n’ouvre pas la porte à des calculs d’apothicaires qui pourraient frapper d’autres services publics dont est chargée la métropole. Nous prépare-t-on ainsi à un abonnement au réseau TBC différent selon son lieu de résidence ?
Néanmoins, l’écueil du raisonnement est ailleurs. Aucune étude ne démontre que le résidant bordelais produit plus de déchets que le résident mérignacais ou pessacais. Pourtant, le contribuable de la ville centre va être nettement plus pénalisé que les autres. En réalité, avec un système de gestion des déchets efficace, le Bordelais attentif à son environnement n’a pas besoin d’une collecte quotidienne. Si du point de vue de l’administration métropolitaine, le service de ramassage est plus difficile à rendre à Bordeaux qu’à Blanquefort, du point de vue de l’usager sensible à la limitation des déchets, le service rendu est le même. C’est là que le mécanisme proposé par l’exécutif métropolitain est pervers. Le nombre de ramassages étant déconnecté du volume des déchets produits et dans la mesure ou le taux de TEOM prend en compte ce premier critère et non le second, les Bordelais n’ont aucune raison de surveiller leur production de déchets, ceux-ci étant ramassés quotidiennement.
Alors qu’il est question dans tous les rapports, et en particulier ceux produits à l’occasion du Grenelle de l’environnement, de mettre en place une fiscalité incitative pour réduire les déchets, Alain Juppé s’apprête à institutionnaliser un système qui encourage leur production !
2) Une fiscalité injuste et illégale
D’une manière générale, la TEOM est une taxe relativement injuste. Elle ne prend pas en compte les capacités contributives des assujettis et vous payez la même somme, que votre foyer compte une ou plusieurs personnes productrices de déchets. Comme si cela ne suffisait pas, vous serez demain davantage taxé en fonction de votre lieu de résidence et à ce jour il n’existe aucun système pour récompenser fiscalement ceux qui font l’effort de diminuer leurs déchets.
À ce triste tableau il faut ajouter qu’avec le système fiscal actuellement proposé par Alain Juppé, les ménages payent en bonne partie l’enlèvement des ordures des entreprises. En plus d’être inéquitable, ce transfert de charges sur les habitants est parfaitement illégal.
Il existe bien une « redevance spéciale » pour enlèvement des déchets industriels et commerciaux assimilés aux ordures ménagères. Néanmoins, la couverture de cette redevance est particulièrement opaque et ses recettes apparaissent dérisoires au regard de ce que produit la TEOM et du gisement des déchets assimilés. Ainsi, la délibération soumise aux élus prévoit une recette de la fiscalité sur les ménages de 90 millions d’euros quand le budget primitif 2016 évalue le rendement de la redevance sur les entreprises à seulement 3,2 millions d’euros.
Par ailleurs, cette redevance spéciale ne s’applique qu’au delà de certains seuils (360 litres hebdomadaires pour les déchets non recyclables et 750 litres hebdomadaires pour les déchets recyclables triés). Si l’on considère cette exonération comme une juste contrepartie d’une TEOM que les entreprises payent également, aucun contrôle n’est exercé sur la quantité de déchets produits, si bien qu’elles ne s’acquittent pas du surplus. Cette collecte gratuite pour les entreprises est donc facturée aux ménages via la TEOM ! Rajoutons que certaines collectes (comme le ramassage des cartons) sont offertes sur la métropole et là encore, les entreprises plus particulièrement productrices de ces déchets, se voient financer le service par la taxe sur les ménages.
En tenant compte des dernières prévisions de la métropole, sur les quatre dernières années, l’augmentation du produit de la fiscalité déchets sur les ménages est de 17,89% (notamment en raison du dynamisme des bases des valeurs locatives à partir desquelles est calculée la TEOM) contre 5,87% pour les entreprises. Ces dernières bénéficiant d’une actualisation basée sur un indice dont la variation est très faible (prix de production de l’industrie française pour le marché français).
Il est étonnant que les élus de la métropole bordelaise se voient présenter un rapport consacrant cette fiscalité au détriment des ménages, le Conseil d’État ayant rendu une décision très claire interdisant ces pratiques. Ainsi dans un arrêt du 31 mars 2014, la haute juridiction rappelle que la TEOM « n’a pas pour objet de financer l’élimination des déchets non ménagers ».
Si Alain Juppé décidait de maintenir cette délibération, nous invitons les élus métropolitains à voter contre et d’exiger du Président de la métropole qu’il institue un mécanisme fiscal incitatif et juste au service d’une politique déchets ambitieuse.