Âgé de 32 ans, je suis le benjamin du Conseil Général de Gironde que j’ai rejoint à la faveur de l’élection de mars 2008. Je regarde la réforme des collectivités territoriales comme un jeune homme politique passionnément intéressé par les missions qui lui ont été confiées par ses électeurs et ses pairs. Je souhaitais dire comment je ressentais ce projet de loi avec la courte expérience qui est la mienne.
La suppression de la clause générale de compétence entraînera sur notre département une forte progression des inégalités
Cette clause est un cadre permettant l’audace politique. Cette clause est une marge de manœuvre qui autorise les collectivités territoriales à intervenir au delà des attributions obligatoires définies par les lois de décentralisation. Ainsi, le Conseil Général a notamment pour missions obligatoires la protection de l’enfance, l’insertion, la solidarité envers les personnes âgées et les personnes handicapées, la création et l’entretien des collèges, les routes départementales, les archives ou encore la protection des espaces naturels. Grâce à la clause générale de compétence, le Conseil Général de la Gironde est en train de relier tout le département au haut débit avec Gironde Numérique. Il agit en matière économique avec par exemple le dispositif Créagir* qui permet d’aider les créateurs ou repreneurs d’entreprise. Il mène une politique volontariste en matière de logement très social en subventionnant les opérations de construction. Il aide les petites communes à construire et rénover les groupes scolaires. Le Département favorise également le sport amateur sur l’ensemble de son territoire en subventionnant les clubs et l’emploi sportifs. Il œuvre également beaucoup en faveur du monde associatif ou encore de l’animation culturelle en apportant son soutien aux organisations concernées et en imaginant des dispositifs départementaux tels que Scènes d’été en Gironde.
Une audace au service de la cohésion sociale et de la lutte contre les inégalités. L’intérêt de cette clause générale de compétence est de permettre à un territoire de s’approprier les problématiques propres à celui-ci et d’offrir des solutions indispensables et complémentaires par rapport à ses seules compétences obligatoires. Le haut débit dans toute la Gironde permet de lutter contre la fracture numérique et attire des entreprises jusqu’ici réfractaires à s’installer sur les territoires ruraux. Créagir aide tout particulièrement un public inscrit dans un parcours d’insertion. Le logement est un droit fondamental, socle minimum de l’accès à la dignité. Le sport amateur, les associations et l’animation culturelle sont un formidable outil de lien et de cohésion sociale.
La destruction annoncée du lien social et de l’équilibre territorial. Renvoyer le Département à ses seules compétences obligatoires c’est détricoter la maille économique et sociale, tissée avec l’ensemble des acteurs locaux depuis de nombreuses années. C’est pourtant cette dernière qui assure aujourd’hui un minimum d’égalité territoriale et de vivre ensemble. La suppression de la clause générale de compétence entraînera un véritable gâchis à l’échelle régionale et départementale. Qui mieux que ces collectivités de proximité en partenariat avec les citoyens et les forces vives peut définir les dispositifs pertinents à ces territoires ? Il s’agit systématiquement de projets d’envergure supra-communale et dans tous les cas, les communes ou communautés de communes rurales n’auront plus les moyens de prendre à leur charge de tels projets. Pas plus que l’État d’ailleurs qui, malgré ses tentations centralisatrices, n’a pas la même acuité que le Département ou la Région pour déceler les enjeux territoriaux. La vie quotidienne des girondines et des girondins doit-elle exclusivement se décider à Paris ? Et même s’il avait l’intention de se substituer aux collectivités, l’État ne le pourrait pas, faute de moyens. Sur cet aspect déjà, la réforme des collectivités territoriales va créer un vide dangereux, éloignant un peu plus les citoyens des cadres collectifs de vie en société. Elle aura pour conséquence de créer un isolement insupportable dans les territoires ruraux, privant les jeunes de l’accès aux activités favorisant leur épanouissement, imposant aux parents des difficultés quotidiennes. Il cantonnera les personnes âgées dans leur dépendance et dans leur solitude. Les premières victimes de cette réforme seront encore une fois les personnes les plus défavorisées.
L’argument fallacieux des compétences croisées
La réforme ne simplifie pas le supposé mille-feuilles administratif. Un des piliers de la plaidoirie de Nicolas Sarkozy en faveur de cette réforme concerne le supposé mille-feuilles administratif local. Le Président de la République souhaite « supprimer les redondances », il veut que les Conseils Généraux et Conseils Régionaux exercent des « compétences spécialisées ». Les français, nous dit-il, comprendraient mieux ainsi qui fait quoi. La réforme envisagée ne supprime aucune « feuille » : elle affadit le gâteau mais sa présentation reste la même, ce qui neutralise l’argument d’une simplification administrative.
Simplisme n’est pas simplification. Arrêtons-nous sur les soit-disant redondances favorisées par la clause générale de compétences. Si on conserve les exemples donnés plus haut, Nicolas Sarkozy viserait le dispositif Créagir du Conseil Général en affirmant que l’économique est le domaine exclusif de la Région. On répondra que ce dispositif a été élaboré précisément grâce à l’expérience des équipes du Conseil Général en matière de solidarité et à la volonté des élus d’offrir un prolongement naturel à la politique d’insertion du Département. Oui, le système administratif français est complexe mais cette complexité est le reflet des parcours de vie des français sur lequel les collectivités peuvent se trouver comme des étapes relais, comme des sas de protection, comme des facilitateurs à l’initiative. La réforme n’envisage pas la simplification, elle présente une vision simpliste des choses. L’histoire de France est complexe, faut-il supprimer des dates historiques pour la rendre plus simple ? La raison fondamentale qui explique la difficulté des citoyens à appréhender les institutions administratives est leur disparition progressive dans les programmes scolaires ou l’impossibilité donnée aux professeurs de dispenser les cours relevant de cette matière. Les mêmes qui nous affirment que les français ne comprennent rien sont les artisans de cette incompréhension.
Des recoupements indispensables. L’argument selon lequel les compétences croisées feraient perdre du temps est là encore inapproprié. Ma petite expérience d’élu local me convainc qu’il est parfois très utile de mettre tout le monde autour de la table pour qu’un projet soit le plus pertinent possible et explore toutes les facettes utiles. J’envisage l’échange et la discussion comme une richesse, chacun apportant son expertise, et non comme une perte de temps. Quand il y a urgence, les institutions territoriales savent s’allier pour donner une réponse collective immédiate, ce fut par exemple le cas après la tempête Klaus. Rapidité qu’on ne peut pas reconnaître à l’État en revanche qui a mis du temps a débloquer les fonds. Pour terminer sur ce soi-disant enchevêtrement des compétences, on soulignera qu’il existe surtout du fait de l’État. Le dernier exemple en date est celui de la Ligne à Grande Vitesse. Équipement national structurant, l’État vient réclamer aux collectivités territoriales une prise en charge de son financement alors même qu’elle ne relève pas de leurs compétences.
Le conseiller territorial : une créature inadaptée
Il n’y aura pas d’économies budgétaires. Nicolas Sarkozy nous explique qu’avec sa réforme, il va supprimer 3000 élus en créant des conseillers territoriaux qui siègeraient à la fois au Conseil Général et au Conseil Régional. L’argument selon lequel ce dispositif permettra des économies est particulièrement inopérant. D’abord, les indemnités des élus représentent moins de 1 % des budgets des collectivités concernées. Ensuite, que Nicolas Sarkozy invoque des économies sur les élus locaux alors que le budget de l’Élysée a augmenté de 18,5 % et qu’en 2007, il s’est fait voter une augmentation de salaire de 172 %, relève du cynisme le plus complet.
Un risque avéré sur la qualité des politiques publiques. Cet aspect de la réforme va avoir une conséquence fortement négative sur la qualité des actions politiques locales. Aujourd’hui, un élu est en contact avec le terrain, il siège dans de nombreuses commissions propres à son institution, participe aux groupes de réflexion sur les thématiques l’intéressant et représente son institution dans de nombreux organismes (collèges, C.C.A.S., hôpitaux, bailleurs sociaux…). Il fait le lien entre ses administrés -citoyens, associations, entreprises- et sa collectivité. Sa capacité à être aux côtés de chaque acteur lui assure une vision globale qui lui permet d’imaginer des débouchés politiques pertinents mis en musique par équipes de la collectivité dont il est l’élu. Nicolas Sarkozy souhaite que la moitié de ces élus disparaisse et que les rescapés siègent systématiquement au Conseil Général et au Conseil Régional. Institutionnaliser ce cumul des mandats est totalement anachronique. Par ailleurs, les élus ne sont pas des surhommes. Il sera impossible de s’approprier pleinement les compétences de chacune de ces collectivités et en plus demeurer en contact avec le terrain. La réforme va produire des élus très généralistes, ce qui paraît en décalage total avec la volonté affichée du Président de faire des institutions spécialisées. La suppression des élus locaux rendra par ailleurs beaucoup plus difficile le dialogue direct entre les citoyens et leurs représentants. Comment les élus, en plus des nouvelles missions qui leur seront confiées pourront assurer leurs traditionnelles permanences auprès de la population ?
Un mode de scrutin piège pour la Gauche et transformant en profondeur l’exercice démocratique français
Pour une réforme affichée comme voulant simplifier les choses, le mode de scrutin qu’elle propose est totalement incompréhensible. Même les meilleurs juristes s’y perdent. Ce mode de scrutin proposé par Nicolas Sarkozy finit de nous convaincre de la volonté politicienne du Président de profiter de cette réforme pour remettre la main sur un pouvoir local que les citoyens, dans de nombreuses collectivités, ont confié à la Gauche. En supprimant le second tour aux élections, il se débarrasse d’une gauche plurielle. En effet, il est jusqu’ici courant qu’au nom de la pluralité des idées, le premier tour permette à chaque parti de faire campagne. Le deuxième tour permet lui, de rassembler. On sait que depuis quelques années, l’UMP a supprimé la diversité des idées et imposé l’union des partis de droite au premier tour. Si la Gauche veut avoir une chance d’avoir des élus, le PS devra pencher pour cette tentative hégémonique. Dans tous les cas, ce mode de scrutin suffit à lui seul pour imposer le bipartisme en France sans que jamais cette question fondamentale pour la démocratie n’ait fait l’objet d’un grand débat national.
Pour conclure, les grands perdants de cette réforme des collectivités territoriales sont les citoyens eux-mêmes. Les plus défavorisés seront les plus touchés. S’il venait à être voté en l’état, ce projet de loi préparera le terrain à un mal-être social particulièrement préoccupant. Pire, si la situation économique perdure au-delà de 2014, je suis pour ma part convaincu que cette réforme sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres.