Chronologie d’un désastre évité (Acte II)

Suite du billet “Chronologie d’un désastre évité (Acte I)”.

Il est 00h30 ce samedi quand je sors de réunion. Aucun message d’aucune préfecture sur mon répondeur. Je me presse de rentrer pour voir si j’ai reçu des réponses à mes fax. Rien. J’appelle Michel. Omar se trouve toujours au centre de rétention, son expulsion est toujours prévue pour dans quelques heures, par l’avion décollant de Bordeaux Mérignac à 11h25. Il nous faut aller à l’aéroport, alerter les passagers, la PAF. Il nous faut absolument empêcher cette bêtise. Il est tard, seuls Michel et moi avons connaissance du dossier.

Je décide d’appeler Naïma ; elle dormait mais sera là ce matin. Etienne est sur MSN, il envvoie un mail à la liste MJS. Quelques minutes plus tard, ceux qui n’étaient pas encore couchés se proposent d’être à l’aéroport le matin. Un mail part également sur la liste RESF. Je reprends les papiers et rédige à la va-vite un communiqué de presse, auquel je joins les attestations médicales les plus parlantes. Il est 2h00 quand les emails et les fax partent. J’imprime le dossier de presse en une centaine d’exemplaires pour le remettre aux passagers du vol tout à l’heure. Je branche mon réveil pour 7h00 et je vais me coucher. D’ordinaire très lent à me réveiller, je bondis de mon lit dès que j’entends le jingle de France Info.

Je réserve un taxi puis préviens Naïma pour qu’elle vienne le prendre avec moi quand il arrivera. Il est 8h00 quand NRJ m’appelle, j’expose la situation et indique notre volonté de sensibiliser les passagers du vol qui doit conduire Omar à Paris puis à Alger de la situation de ce dernier. Brin de toilette, je m’habille en quatrième vitesse, je prends les dossiers et attrape mon écharpe d’élu.

8h30, Naïma et moi sommes dans le taxi. 8h55, nous arrivons à l’aéroport de Mérignac. Nous retrouvons Michel et une amie de ce dernier. Etienne, Stéphane et Adrien du MJS nous rejoignent. Une amie de RESF arrive également peu temps après. 9h40, nous commençons à distribuer nos dossiers aux passagers du vol Bordeaux-Paris d’Air France. Nous leur expliquons qu’Omar est victime d’une erreur administrative, qu’il doit se faire opérer dans quelques semaines pour une maladie rare. Nous leur remettons copie des certificats médicaux qui attestent qu’il ne peut pas se faire opérer en Algérie.

Beaucoup des passagers nous demandent ce qu’ils peuvent faire. Nous leur indiquons que le commandant de bord a le pouvoir de faire débarquer n’importe lequel des passagers, nous leur demandons de le solliciter à cet effet.

9h50, Michel appelle le centre de rétention. Nous tombons directement sur les “retenus”. Nous souhaitons savoir si la police est venue chercher Omar. Le retenu qui nous répond nous indique qu’ils sont partis il y a 25 minutes. Ce qui signifie qu’Omar n’a pas encore embarqué. Le retenu nous apprend que le jeune homme a avalé des piles de walkman et ne l’a pas signalé à la police venue l’amener à l’aéroport.

9h55, j’enfile mon écharpe d’élu. Je cours au bureau de la PAF. Je leur indique qu’Omar vient d’avaler des piles. Ils sont dubitatifs. Ils ne veulent rien savoir. Ils me font comprendre qu’il est déjà dans l’avion, que c’est trop tard, que je peux rentrer chez moi. Je m’efforce de leur faire comprendre calmement la situation ; ils n’en n’ont cure. Quand je veux montrer les certificats médicaux, ils m’indiquent d’un geste que c’est inutile, et précisent : “Vous savez, Monsieur, nous, on se contente d’appliquer les décisions”.

10h15, j’appelle la préfecture de la Gironde. Il y a une permanence pour les personnes étrangères. J’explique que Omar, par desespoir a avalé des piles de walkman. La personne me dit qu’elle va contacter la PAF.

10h20, je retourne auprès de mes camarades qui continuent de sensibiliser les passagers. Là, le chef de la PAF veut nous parler. Il nous indique que nous n’avons pas le droit de parler au personnel d’Air France. Je lui parle des piles. “Vous savez Monsieur, il les chiera demain”, me répond-il.

10h40, le journaliste de France Bleu arrive. Il nous interroge. Ca ne semble pas faire plaisir au responsable de la PAF qui paraît tout à coup fébrile. Nous lui affirmons que s’il arrive quelque chose à Omar, tout le monde le saura, et qu’il est de sa responsabilité de le faire descendre de l’avion.

11h10, soit 15 minutes avant le décollage. Je reçois un coup de fil d’un passager de l’avion qui a trouvé mon numéro dans le dossier que nous lui avions remis. Il m’apprend qu’Omar a fait un malaise et est en train d’être évacué de l’avion. Soulagement général même si nous sommes un peu inquiets pour la santé d’Omar.

11h20, le responsable de la PAF vient nous voir pour demander à ceux qui avaient des appareils photos de tout effacer. Il menace de nous placer en garde à vue. Je l’interroge sur Omar, il ne veut rien me dire. Je lui apprends que je sais qu’il a quitté l’avion en fauteuil roulant, on le devine très contrarié et furieux.

11h30, nous quittons l’aéroport. Nous passons des coups de fil pour savoir où Omar a été emmené. Il est aux urgences de Pellegrin. Nous apprenons qu’en plus des piles, il a avalé une lame de rasoir. Nous suivons son état de santé. Michel reste à ses côtés toute l’après-midi. Dans la soirée, il est transféré dans un autre hôpital bordelais pour se faire extraire ce qu’il avait ingurgité. L’opération se passe bien. Omar est poursuivi pour avoir refusé de se soumettre à une mesure d’éloignement. Pour le moment, il est libre.

  1. 19 mars 2007

    Un seul mot : Bravo! Par delà les "barrières" partisanes que vous le savez nous espérons voir se lever pour que lorsque la nécessité l’exige les gens de bonne volonté travaillent ensemble, je voulais vous tirer un coup de chapeau! En passant, comme ça, Mr Karlsfeld, l’envoyé plénipotentiaire du Ministre de l’intérieur n’avait-il pas pour rôle de se pencher au cas par cas dans des situations analogues?… Il s’agit d’une abération de plus dans un système de peur hiérarchique en cascade! Si bien que personne, à quelque niveau que ce soit, malgré les évidences humaines et sanitaires ne se risque à élever la voix!

    En passant aussi… que pouvoir a la PAF pour exiger la destruction des pélicules?… Aucun! La menace de garde à vue est bien le symbole de la dernière réaction d’autorité d’un officiel qui se rend compte qu’il n’a plus d’argument.

    Bon rétablissement à Omar

  2. 20 mars 2007

    Il y a une erreur pour 9h40:
    "Nous leur remettons copie des certificats médicaux qui attestent qu’il ne peut pas se faire opérer en France". C’est bien sur en Algérie qu’il ne peut pas se faire opérer.

  3. 20 mars 2007

    Bladsurb : Effectivement. C’est corrigé, merci 🙂

  4. 22 mars 2007

    Bravo, Matthieu, pour ce que tu fais avec RESF, vous avez besoin de coups de main, tu peux compter sur moi, je reçois -malheureusement- (si je dis malheureusement c’est dans l’idée que ce réseau ne devrait pas exister )régulièrement des appels pour des cas de personnes qui vont être renvoyés dans leur pays, mais je souhaite m’inpliquer d’avantage concrétement sur le terrain.
    Tu sais ou me joindre … auprès de Michèle

  5. 27 octobre 2007

    aucun message d’aucune prefecture sur mon repondeur, ejuhhh ? 😉