Karim, c’est un nom, une histoire

Bonjour, Ceci est probablement un des derniers messages, sinon le dernier, que vous recevez de la part du comité de soutien de Karim. La promesse de sa régularisation présente aujourd’hui toute les garanties pour qu’on ne doute plus de ce qu’elle sera tenue. C’est la raison pour laquelle je me sens plus libre de rédiger ces quelques lignes.

Je ne trouverai pas de mots assez justes pour décrire ce que ce petit bonhomme a enduré ces quatre derniers mois, et en particulier ces deux dernières semaines. Aujourd’hui, il est hors de danger mais il aura payé un lourd tribut. Les plaies se referment mais les cicatrices demeurent.

Il est déjà très jeune quand il comprend que pour être lui il doit quitter sa famille. La religion, la société, son entourage, son père, sa mère n’acceptent pas ce qu’il est. Les gens “se doutent”. Il subit brimades et insultes, il est même agressé physiquement. Il y a un espoir : un oncle l’accueillerait en France pour qu’il y poursuive sa scolarité. Au-delà de la perspective de débouchés professionnels, c’est évidemment une issue de secours qui se profile et peut-être l’occasion de vivre enfin sa vie. Alors Karim multiplie les petits boulots pour pouvoir se payer le voyage. Il se lève tôt, se couche tard et économise. A seize ans, il peut enfin partir et rejoindre Bordeaux. Son oncle l’héberge sous son toit. Il ignore les réelles motivations de Karim mais ne pose pas de questions. Karim s’intègre parfaitement. Il travaille bien au lycée, ses résultats sont bons. Pour ne pas être une charge pour son oncle, il travaille le week-end, dans un hôtel où il fait le ménage. Karim tombe amoureux d’un garçon et une belle histoire commence.

Mais voilà, Karim vient maintenant de fêter son dix-huitième anniversaire et reçoit l’ordre de quitter le territoire français. Il ne veut pas partir. Il se sentait enfin vivre ici. Le préfet prend à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière. Le jeune homme explique qu’il ne peut pas partir, qu’il n’a plus de liens avec sa famille, qu’il n’a pas d’amis, ni aucune attache en Algérie. Il explique qu’ici, il a une famille, un entourage aimant, qu’il est scolarisé et qu’on a rien à lui reprocher.

Ces seuls éléments auraient dû lui permettre de rester en France. Mais la France exige davantage. On lui demande d’expliquer pourquoi il est parti. Karim ne l’a jamais dit jusque là. Pudique, il n’a jamais lui-même mis de mots sur “ça”. Il avoue que son père se doutait qu’il n’était “pas normal”, il avoue les sévices qu’il subissait. Mais ça ne suffit pas. On lui reproche de n’avoir jamais fait état de son homosexualité. On lui reproche de ne l’avoir pas révélée lorsqu’il est arrivé en France et de s’en servir maintenant pour rester. On doutera publiquement de son orientation sexuelle et on lui reprochera de ne pas en apporter la preuve.

En première instance, Karim obtient justice, il peut rester en France. Mais on s’acharne. Le préfet fait appel de la décision. Ainsi, Karim n’aurait rien à faire ici. Devant la Cour d’appel, les questions et les insinuations font froid dans le dos. Karim ne rapporte pas la preuve de son homosexualité. Il ne rapporte pas la preuve que si elle était avérée elle représente un danger pour sa vie. Son ami vient bien à l’audience pour témoigner de leur relation mais voilà, il leur manque un domicile commun, un pacs, et sans doute un chien.

A 18 ans, Karim ne peut justifier de sa vie de couple. Son oncle n’est pas à l’audience car il ne sait pas que Karim est homosexuel et le jeune homme lui a donc caché les déboires administratifs dont il est victime.

La décision de la Cour d’appel infirme celle du tribunal administratif : Karim doit partir. Le comité de soutien de Karim s’active. Josiane Balasko, sa marraine, interpelle le ministère de l’Intérieur par médias interposés. Répondant à l’appel, de nombreuses personnes se proposent de le cacher et de l’aider par tous moyens appropriés. C’est le soir du 23 décembre, au moment où il devait justement rejoindre sa première planque, qu’il apprend de Josiane Balasko que le ministère de l’intérieur va le régulariser. Il a du mal a réaliser et, de toute façon, Karim intériorise tout. Sa joie se devine sur son visage et ses yeux brillants. Nous fêtons ça. Il rentre chez lui pour aller se coucher.

Mais voilà, l’affaire est revenue aux oreilles de son oncle. Celui-ci le met dehors. Il ne veut pas de “gens comme ça” chez lui. Il aurait dû voir un docteur avant de s’adresser à un avocat. Il est la honte de la famille. Alors la première planque prévue sera finalement son refuge. Malgré ce calvaire, il se lèvera à 6h30 et sera à l’heure ce dimanche 24 décembre pour embaucher.

Je passerai Noël avec lui chez une de mes amies. Il se confiera un peu mais pas trop ; je n’ai jamais entendu Karim, pudique et digne, se plaindre. Il comprend qu’il est dans une situation précaire, qu’il va falloir trouver un logement, des ressources … mais ne se résigne pas. Il est heureux de pouvoir rester ici. Derrière les chiffres, derrière les 25 000 expulsions qu’on est heureux d’exhiber, il y a des vies. Il y a des êtres humains. Il y a Karim, Qerim, Dashnor, Dashroje, Felouah, Yuan, Mamadou, Beibei, Cristian et tant d’autres. Racontons leurs vies pour qu’ils ne soient plus une simple statistique.

Matthieu Rouveyre
Parrain de Karim
Président de la LGP Bordeaux, membre de RESF 33
Conseiller municipal de Bordeaux