Le mariage pour tous sauvera des vies, soyons mobilisés

Cédric s’était servi d’un manche à balai dont l’une des extrémités reposait sur un mur de la salle de bain de sa chambre d’étudiant et l’autre sur le rebord de son lit mezzanine. Il y avait attaché une corde, approché sa chaise de bureau sur laquelle il est monté. Il a noué la corde autour de son cou. On ne sait pas combien de temps il a demeuré, debout, sur cette chaise, à penser au moment où il allait se laisser tomber. Peut-être n’a-t-il pas réfléchi, peut-être qu’il est resté comme ça pendant de longues minutes. En tout cas, quand on l’a retrouvé, il était mort depuis deux jours.

Cédric était en première année de biologie. C’était un bon étudiant et donnait les signes d’un garçon heureux à ses camarades de fac. En réalité, la lettre qu’il a laissée derrière lui témoignait de sa profonde détresse. Il était rongé par la souffrance, par un mal-être qui ne l’a pas quitté depuis peut-être ses douze ou treize ans, l’âge à partir duquel il s’est senti attiré par les garçons. Comme beaucoup de jeunes à cet âge, il a dû faire face à son propre questionnement, à l’angoisse d’en parler à sa famille et aux manques de repères lui permettant d’envisager autrement que dramatiquement les sentiments confus qui étaient en train de naître en lui.

Chaque année en France, plusieurs milliers de jeunes se donnent la mort, c’est la première cause de mortalité chez les 25-34 ans et la seconde chez les 15-24 ans. On sait également qu’un jeune homosexuel ou en questionnement a treize fois plus de risque de se suicider qu’un hétérosexuel de même classe et de même condition sociale. Ces chiffres permettent seulement d’imaginer l’extraordinaire douleur qui se fixe, comme une sangsue, à l’esprit de ces jeunes, filles et garçons, quand vient l’âge des premières attirances.

La loi qui ouvrira le mariage aux couples de même sexe permettra d’abolir une discrimination légale. Elle offrira alors aux personnes homosexuelles et aux enfants qu’elles ont ou pourraient avoir, la même protection que celle aujourd’hui octroyée aux couples hétérosexuels et à leur descendance. Si cette évolution juridique est fondamentale et rendra la France plus fière de sa devise républicaine, cette réforme aura une portée autrement plus considérable en matière de lutte contre le mal-être et le suicide des jeunes.

En effet, il y a une constante chez toutes celles et ceux qui sont déchirés par les questions qui les traversent, c’est celle d’un manque repères positifs de l’amour entre deux personnes du même sexe. Les débats actuels ne sont que l’expression concentrée de ce qu’on entend depuis toujours. Des amalgames nauséabonds, des insultes, des propos visant à expliquer que quand même, « ils ne sont pas normaux ». Adultes, nous sommes davantage capables d’analyser ces propos haineux et de prendre le recul nécessaire pour s’en protéger. Il en est très différemment pour des enfants qui sont en train de se construire intellectuellement. Ils sont perméables à tout, au meilleur comme au pire.

Un mariage est souvent l’occasion d’inviter sa famille et ses amis pour célébrer aux yeux de tous l’amour que deux personnes ont l’une envers l’autre. Les mariés considèrent ce mariage comme « le plus beau jour de leur vie ». Tous les enfants sont marqués par la cérémonie, les costumes, la joie sur les visages des convives, la fête et la pièce montée. Ils auront peut-être, plus tard, une autre vision du mariage, mais en attendant ils associent cet événement au bonheur. Jusqu’ici ce bonheur est réservé aux hétérosexuels. Rappelons que non seulement le PACS n’offre pas les mêmes droits que le mariage mais en plus, sa conclusion se passe au tribunal et sans que le couple ait la possibilité d’inviter ses proches. Lorsque demain les personnes homosexuelles pourront se marier aux yeux de tous et dans les mêmes conditions que les personnes hétérosexuelles, le bonheur de cet événement deviendra universel et sera un puissant repère positif pour des jeunes en construction.

Par ailleurs, on sait combien la télévision joue un rôle dans le développement des jeunes qui restent en moyenne quatre heures par jour devant leur poste. La famille représentée dans les films ou les séries télé reste encore très éloignée de la réalité. Longtemps, les scénaristes ont cherché à stimuler chez le téléspectateur sa nostalgie pour une famille nucléaire idéale qu’il a eu ou qu’il aurait aimé avoir. Néanmoins, il y a eu des évolutions avec notamment l’émergence de personnages homosexuels et nul n’imagine rediffuser en prime-time « la petite maison dans la prairie ». Avec l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, la réalité viendra sans doute bouleverser un peu plus la fiction. Il est probable que les familles homoparentales fassent leur apparition sur petit et grand écrans et cette révolution ouvrira alors aux jeunes générations le champ des possibles.

Cette rencontre avec une représentation positive de l’homosexualité rendra plus tolérantes de très nombreuses personnes et sera une bouée salvatrice pour celui ou celle qui n’aura que ça auquel s’accrocher durant sa propre construction. C’est une bouée qui a manqué à Cédric, soyons mobilisés pour qu’elle soit offerte à ses semblables.