Reconnaissons à Alain Juppé son incroyable ténacité. C’était il y a un peu plus de 10 ans, le Maire de Bordeaux cherchait une solution rapide et efficace pour débarrasser sa ville de ses habitants les plus pauvres. Il publia un règlement nommé “arrêté anti-bivouac”. Ce texte interdisait aux mendiants l’accès aux principales rues de Bordeaux. Le 7 janvier 2003, cet arrêté était annulé et la commune condamnée par le Tribunal administratif pour atteinte aux libertés individuelles.
Plus prudent mais tout aussi déterminé, notre ancien Premier Ministre a peut-être trouvé, une décennie plus tard, la solution pour expulser les marginaux de Bordeaux sans en endosser la responsabilité. Parce qu’il sait bien que la meilleure défense reste l’attaque, dans un communiqué de presse diffusé ce vendredi 30 novembre, Alain Juppé lance un larmoyant appel à la solidarité communautaire pour la création de places d’hébergement d’urgence dans les autres villes de l’agglomération bordelaise.
En effet, Alain Juppé trouve qu’il y a trop de pauvres à Bordeaux et souhaite que les autres communes de la CUB en prennent leur part. Il rappelle à qui veut l’entendre que 80% des places d’hébergement d’urgence se trouvent dans la ville centre. Il oublie toutefois de préciser que c’est le cas dans toutes les agglomérations, en France et dans le monde ! En effet, les plus démunis ont un besoin vital d’être à proximité immédiate des services publics et des commodités propres à une capitale métropolitaine. Éloigner les plus fragiles du centre ville revient à les condamner à davantage de difficultés et de souffrances. Il omet également de préciser que l’hébergement d’urgence est un des éléments d’une politique globale du logement dans laquelle on retrouve le logement social et pour lequel le Maire de Bordeaux n’est pas pressé de se montrer solidaire (16% de logements sociaux à Bordeaux).
Toujours dans ce communiqué, le Maire de Bordeaux feint de découvrir la situation : “Alain Juppé vient d’être alerté par les acteurs de l’urgence sociale sur la situation alarmante à laquelle ils doivent faire face aujourd’hui“. Le texte rajoute qu’il “manque 150 places d’accueil“. En réalité, les acteurs de l’urgence sociale tirent la sonnette d’alarme depuis fort longtemps et ils manifestaient il y à encore quelques semaines contre la fermeture, à Bordeaux, de places d’hébergement d’urgence décidée par l’État et … Alain Juppé lui-même ! Par ailleurs, c’est ce même Alain Juppé qui retirait de l’ordre du jour du dernier conseil municipal une délibération qui entérinait la cession gratuite à la Ville par la Région Aquitaine d’un ancien CFA devenu le foyer Tregey pour sans abris.
Bordeaux est une commune riche. Nous avons les moyens de partager la ville. Des centaines de millions d’euros sont engagés pour la construction d’un Grand stade de football, pour un centre du vin, pour continuer à rénover et embellir les façades. Il est financièrement tout à fait possible de créer, à Bordeaux, des places d’hébergement d’urgence mais son Maire n’a qu’une obsession : les supprimer.
Il y a 10 ans, Alain Juppé a été contraint d’abandonner sa chasse aux pauvres grâce à une réelle mobilisation citoyenne. Des manifestations avaient rassemblé plusieurs centaines de personnes, des campagnes d’information et des pique-niques solidaires avaient été organisés. Gageons que cette indignation se réveille à nouveau.
Edit 2/12 : Dans un communiqué en réponse diffusé le 1er décembre, le Préfet recadre Alain Juppé. Si je ne partage pas le scepticisme de la préfecture quant au nombre de personnes qui dorment dans la rue, la position de l’État accrédite la thèse selon laquelle “l’appel de Juppé” était bien un coup de com’.