Grand Stade de Bordeaux : bientôt l’arrêt des travaux ?

En raison de la procédure contentieuse initiée par le groupe socialiste de la Mairie de Bordeaux, le projet de Grand Stade né d’un mariage (blanc) entre le public et le privé ne verra peut-être pas le jour. Nous entendons déjà les acclamations d’un côté, les vociférations de l’autre et dans ce brouhaha, revenons sur quelques points (I) avant de préciser cette hypothèse (II).

I- UNE OPPOSITION JUSTIFIÉE ET DÉTERMINÉE

Pour un meilleur usage de l’argent public

Premièrement, le groupe socialiste de Bordeaux n’est pas hostile à un Grand Stade. Il conteste seulement son financement public et dit que si le groupe M6 veut offrir un nouvel édifice au Club des Girondins, c’est à lui de le financer. L’argent public n’a rien à faire dans ce projet, autrement plus nécessaire ailleurs. Un Bordelais sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Compte tenu de la très grande faiblesse des services publics municipaux en faveur des plus modestes (logement social, résidences pour personnes âgées, hébergement d’urgence, …), les priorités sont ailleurs. De plus, l’actionnaire du Club a largement les moyens de financer cette infrastructure dont on nous dit par ailleurs qu’elle permettra une meilleure rentabilité du Football Club des Girondins de Bordeaux (FCGB). Plutôt que servir les intérêts du « sport business », les deniers publics seraient donc également mieux employés dans la construction d’équipements de proximité, là encore en déficit dans la Ville (crèches, écoles, piscines, gymnases, …). Enfin, le dernier baromètre (février 2013) de la CUB confirme que le Stade qui a toujours été considéré par les personnes interrogées comme le moins prioritaire de tous enregistre un recul de 5 points d’opinions favorables (PNG, 183 ko).

Un PPP risqué et toxique pour les finances publiques

barometre-cub-fevrier-2013-stadeEn second lieu, la détermination du groupe socialiste à combattre le contrat de partenariat public-privé auquel s’adosse le nouveau Stade ne signifie pas qu’il n’aime pas le football ou encore qu’il serait jusqu’au-boutiste dans l’opposition au Maire de Bordeaux. Le groupe socialiste aurait pu se contenter – à l’instar des autres composantes de l’opposition – de voter contre le financement du nouveau Stade, de faire une conférence de presse et d’envoyer un communiqué de temps en temps pour rappeler sa position. Convaincu que ce PPP, en plus d’être illégal, est d’une rare toxicité pour les finances publiques et qu’Alain Juppé a fait le choix de sacrifier l’intérêt général sur l’autel des intérêts privés, les élus socialistes ont décidé de mener le combat judiciaire à son terme.

Il faut préciser que ni M6 ni le Club des Girondins de Bordeaux ne sont parties au contrat. Cela signifie qu’en cas de défaillance du Club, c’est la Mairie qui restera redevable des loyers du FCGB. Cette configuration est loin d’être virtuelle. Les récentes mésaventures du Club du Mans poussent la puissance publique à se substituer au Club défaillant dans le versement des loyers d’occupation du stade. Les récentes déclarations de Nicolas de Tavernost après l’annonce des pertes des Girondins (14,3 millions d’euros) : « M6 ne sera pas le mécène des Girondins » ne sont pas non plus de nature à rassurer. En effet, comment le Club va-t-il pouvoir payer 3,85 millions d’euros de loyer annuel dans la situation critique qu’il connaît et alors que l’actionnaire n’entend pas se montrer plus généreux ?

Une détermination inversement proportionnelle à nos moyens

Saisir la justice administrative n’a pas été un choix facile car il faut bien savoir que l’opposition n’a aucun moyen financier (notre indemnité mensuelle est de 342 euros bruts, soit 4 à 8 fois moins élevée que celle d’un conseiller municipal de la majorité selon qu’il soit adjoint ou non) et que cette démarche contentieuse se rajoute au travail quotidien qui incombe à une minorité municipale. Juriste de l’équipe, il m’est donc revenu la charge de constituer le dossier et de rédiger les recours. Un groupe politique n’ayant pas de personnalité juridique, il devait être déposé au nom propre de l’un d’entre nous. Pour plus de cohérence, il a été décidé qu’il le serait au nom du mien. Sans l’aide précieuse de bénévoles anonymes, il aurait été difficile de boucler dans les délais une argumentation solide. Cette précision permet de comprendre pourquoi la jurisprudence sur les PPP est très pauvre : les élus d’opposition (de gauche comme de droite) n’ont pas les ressources nécessaires pour obtenir l’avis d’un juge en cas de doute sur la légalité desdits contrats.

Le Maire de Bordeaux dispose de puissants moyens de communication pour vanter les mérites de ce contrat et profite de sa complexité pour essayer de tronquer la réalité. Ainsi, il a récemment déclaré que le recours devant la Cour d’appel privait la Ville d’une économie de 30 millions d’euros. C’est un reproche assez cocasse quand on sait que c’est précisément la procédure contentieuse qui offre cette possibilité d’économie. Sans ce recours, Alain Juppé aurait fait perdre 30 millions d’euros à la Ville. En effet, il aurait cristallisé les taux d’intérêt (swap) à la date de la signature du contrat, alors qu’ils étaient beaucoup plus importants qu’aujourd’hui. La requête devant le juge administratif a empêché le Maire de Bordeaux de fixer ces taux qui sont aujourd’hui beaucoup plus favorables. Rien d’ailleurs ne nous dit qu’ils ne vont pas se stabiliser ou encore baisser.

 

II- UN PROJET MENACÉ PAR LE GEL DE L ‘EMPRUNT BANCAIRE

Un investissement exclusivement financé par la puissance publique

Il faut d’abord rappeler que contrairement à ce que pourrait laisser imaginer le terme « privé » dans l’expression partenariat public-privé, ce sont les pouvoirs publics seuls qui supportent le coût de l’investissement. Pour le projet de nouveau Stade, le financement contractualisé est le suivant (pour une analyse exhaustive, se reporter à l’étude financière réalisée par l’association Transcub, PDF, 377 ko) :

    • 75 millions de subventions publiques (versés pendant la période de construction)

    • 10 millions de fonds propres correspondants aux avances des actionnaires, remboursables par la Ville sur 30 ans au taux de 15% environ (ce sont ces fonds qui permettent le début des travaux)

    • 114 millions correspondants au crédit construction (auprès de Dexia et Sumitomo Mitsui banking) remboursables par la Ville sur 30 ans à un taux de 4,75% environ.

Les 20 millions d’euros du FCBG correspondent à une avance sur loyer et non à une subvention à la construction (ils sont donc affectés à la partie exploitation et non à l’investissement).

Un emprunt gelé

Ces 114 millions sont, pour une large part, la clé de compréhension (ou d’incompréhension). Cette somme est empruntée pour le compte de la Ville de Bordeaux par le constructeur. Mais la banque (en l’occurrence, il y en a deux) préfère s’assurer que les annuités seront bien payées et considère qu’une collectivité est plus solvable qu’une société de projet dans laquelle les actionnaires ne mettent que 10 millions d’euros. Aussi, le contrat de partenariat et ses annexes prévoient que la créance détenue par le constructeur sur la Ville de Bordeaux (c’est lui qui emprunte à la place de la puissance publique) soit cédée à la banque. La collectivité rembourse alors non pas au constructeur mais directement à l’établissement financier. Cerise sur le gâteau : parmi les actes détachables on trouve une garantie supplémentaire pour la banque. Il s’agit de l’acceptation par la Ville de ladite cession. Cette acceptation a un effet puissant : la banque (le cessionnaire) bénéficie d’un droit de créance ne pouvant plus être affecté par l’évolution du rapport d’obligations liant le constructeur (le cédant) et la Ville (le débiteur cédé). Autrement dit, si le constructeur manque à ses obligations de propriétaire, la Ville ne peut plus bloquer le versement des loyers (elle ne peut plus opposer d’exception d’inexécution). La magie du PPP c’est aussi ça : les pouvoirs publics financent l’intégralité de l’investissement mais c’est le constructeur qui en est le propriétaire jusqu’au terme du contrat. Ainsi, et pour ne prendre que ce seul exemple, lorsque les normes de l’UEFA évolueront, les aménagements qu’elles induiront ne feront pas l’objet d’appel d’offre et se feront aux conditions du constructeur/propriétaire (cf. les dérives de l’hôpital sud-francilien et le surcoût d’environ 115 millions d’euros).

Il faut ajouter que la mobilisation de ces 114 millions ainsi que les 10 millions de la société de projet font l’objet de garanties particulières. Ainsi, le Maire de Bordeaux a accepté que la Ville paie plusieurs millions d’euros d’indemnités dans l’hypothèse où le contrat serait annulé par le juge. Autrement dit, si le juge administratif considère que le contrat est illégal, la collectivité, en vertu d’un accord signé par son Maire, s’engage tout de même à verser plus de 26 millions d’euros (somme évoluant en fonction de la date à laquelle le contrat pourrait être annulé, pdf, 287 ko dernière annexe) d’indemnités aux banques et au constructeur.

Le groupe socialise a donc attaqué le contrat de partenariat en lui-même et ses mécanismes de garanties. Ce montage juridico-économique protège le privé (constructeur et financeurs) au détriment de la puissance publique et donc du contribuable. La Cour d’appel de Bordeaux devra dire si ces diverses protections sont légales. C’est justement parce que la banque n’est pas certaine qu’elles le soient qu’elle a prévu une solution de repli. En effet, dans l’hypothèse où il existe un recours contre l’accord autonome (récapitulant toutes ces garanties), elle peut refuser de débloquer les fonds comme l’indique l’article 4 de l’accord autonome (pdf, 287 ko) :

 « En contrepartie de la conclusion du présent Accord Autonome, les Créanciers Financiers ont accepté de renoncer (dans le cadre des relations contractuelles qu’ils ont à ce titre avec le Partenaire) à conditionner le tirage sur les Instruments de Dette à l’absence de recours contre le Contrat de Partenariat ou l’un de ses actes détachables. »

Autrement dit, la banque renonce par avance à bloquer les fonds, même s’il existe un recours contre le contrat principal. Néanmoins, ce paragraphe est tout de suite suivi de celui-ci :

« Cette renonciation est toutefois conditionnée par l’absence de recours administratif ou contentieux pendants (les éventuels recours introduits durant les délais de recours ayant été définitivement rejetés) ou de retrait administratif à l’encontre de l’Accord Autonome ou de l’Acte d’Acceptation Accord Autonome ou de leurs actes détachables et l’expiration des délais de recours retrait applicables, tel que confirmé par l’Attestation de Purge visée ci-dessous […] »

Cela signifie que la banque recouvre son droit de bloquer le financement du stade (crédit construction) s’il y a un recours contre l’accord autonome. C’est justement la situation dans laquelle on se trouve. C’est bien parce qu’elle imagine que l’accord autonome n’est pas d’une légalité éclatante que la banque ne se risque pas à débloquer les fonds. Car s’il n’y a plus d’accord autonome, toutes les garanties qu’elle prend au détriment de la puissance publique disparaissent. D’ailleurs, un courrier du Maire de Bordeaux à une de nos questions portant sur la cristallisation des taux (voir plus haut) montre que les financeurs entendent respecter scrupuleusement le contrat (autrement dit de la clause qui leur permet de ne pas s’engager).

Comment Alain Juppé financera-t-il un stade sans l’emprunt auquel il est en grande partie adossé ? Pourquoi a-t-il accepté ces conditions insupportables pour la puissance publique ? Ne devrait-il pas aujourd’hui renoncer à ce coût inacceptable pour les finances locales et donc pour les générations à venir ?

Le sauvetage possible du projet

Beaucoup d’énergie a été déployée dans la préparation de ce projet. Les plans sont réalisés, les travaux ont débuté. Pourtant, la menace d’un arrêt imminent du chantier liée au gel de l’emprunt bancaire pourrait pourtant être immédiatement levée. Il y a en effet une possibilité de sauver le Grand Stade. Il suffit que le groupe M6, actionnaire des Girondins de Bordeaux se substitue à la puissance publique dans le financement de cet investissement.

2013

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